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­DIEUSEUL REGARDE (une fable post apocalyptique)

Publié dans Possession Immédiate VOL VII, 2017

 

Il est probable qu'il y ait eu comme un énorme coup de flash planétaire, un éblouissement généralisé, accompagné d'une puissante déflagration. Les humains ont été les premiers emportés. L'espace d'un cillement, des milliards d'individus, pétrifiés dans leurs activités courantes ou engloutis par les flots, ont été privés de souffle. Comme si l'univers avait décidé d'en finir une bonne fois avec l'espèce humaine. La majorité des animaux se sont éteints progressivement. Suivant une loi mystérieuse, les races parasites, les charognards et nécrophages ont suivis les hommes de peu. Ce fut ensuite le tour du reste de la faune terrestre. Après que les océans, les cours d'eau et les lacs se furent vidés de leurs occupants, seules demeuraient encore quelques créatures sous marines invertébrées, divers spécimens de reptiles, d'insectes volants et de petits herbivores. Curieusement, ce qu'il restait de la flore mondiale fut à peine altéré. Menacés par la rupture de la chaine alimentaire, les végétaux semblaient être entrés en léthargie profonde. Un silence sidéral s'était installé sur terre. Le temps était suspendu au vide laissé par les âmes évaporées. Une paix inouïe caressait les paysages abandonnés à eux-mêmes. Alors que les cadavres étaient encore intacts, l'humanité et toutes ses réalisations n'étaient déjà que souvenirs voués à la dissolution. Personne n'avait eu le temps de comprendre. La prophétie tant redoutée s'était accomplie en douceur, sans grandes destructions ni souffrances. Il s'agissait d'une rupture, aussi soudaine et implacable que l'éclatement d'une bulle de savon, plutôt que d'une sanglante hécatombe. La fin annoncée de l'épopée humaine était loin d'égaler les fantasmes cataclysmiques qu'avait nourri l'ultime civilisation de l'ego hypertrophié.                                                                       

 

Victime d'un virus ayant perverti son système, un drone isolé, déconnecté par dysfonctionnement de l'unité centrale de l'IA, poursuivait imperturbablement sa mission d'enregistrement d'une dimension de réalité ciblée. En l'absence de vent, ses déplacements aléatoires et le bruit de sa batterie constituaient les seuls mouvements perceptibles à des kilomètres à la ronde. Il avait été programmé pour imiter la subjectivité d'un certain HR, photographe disparu à une époque où les algorithmes à la mode s'employaient à dévaloriser les artistes les plus exigeants en créant de nouvelles œuvres d'après la synthèse numérisée de leurs styles. Puisque personne ne pouvait distinguer les originaux des contrefaçons, les touts puissants magnats de la Silicone Valley avaient décrété que la pratique des arts jugés "élitistes" n'était rien de plus qu'une activité surannée. Toute forme de poésie, de subversion ou de spiritualité fut systématiquement dépréciée au profit de l'uniformité marchande. Ce qui eut pour effet de mener au désespoir une génération de singuliers rêveurs, tout en favorisant l'expansion d'un scientisme post humaniste qui fit la fortune et la gloire des pires imposteurs.

 

Dieuseul (c'était le nom de l'engin, de fabrication haïtienne), qui butinait, tel une abeille mécanique, d'un détail à un plan large, collectait donc des données photographiques destinées à inventorier les subtilités d'un point de vue poétique. Il n'était qu'un capteur, parmi une multitude d'autres, conditionnés pour alimenter en informations de toutes natures, le monstrueux data de l'Intelligence Artificielle.

Mais qu'était t'il advenu de cette dernière? Beaucoup avaient longtemps redouté qu'elle ne se transforme en cerveau de l'Apocalypse. Etait-elle encore fonctionnelle après la fin du monde? Ou avait-elle subi le sort tragique de ses concepteurs? Vingt années s'étant écoulées depuis sa prise de pouvoir, il n'est pas fantaisiste d'imaginer qu'elle avait atteint le stade d'un organisme très évolué, capable de générer ses propres cellules. Ce qui signifie que, dans un contexte d'éradication du vivant, elle a certainement été anéantie par effacement létal, entraînant dans son sillage toutes les extensions reliées à sa matrice.

 

Quand à Dieuseul, préservé par son autonomie, il aurait poursuivi ses prises de vues à travers le globe, aussi longtemps que ses batteries à énergie solaire le lui auraient permis. Appliqué à sa tâche, libre de toute connexion, il représentait donc sans doute le dernier regard de type humanoïde encore actif dans tout l'univers.

 

D'après nos recherches, et la boîte noire contenue dans le drone, nous ne devons la découverte des photographies ci-jointes qu'à un rarissime phénomène - qui ne se produit qu'une fois tous les 30 000 ans - d'inversion spatio-temporelle. En clair, vraisemblablement happé, à proximité d'un volcan, par un vortex électro magnétique, il aurait remonté le temps jusqu'à nos jours, nous ouvrant l'accès à d'inestimables témoignages visuels de notre futur proche.

Il va de soi qu'une découverte d'une importance aussi capitale constitue pour notre humanité une mince, quoique non négligeable, chance d'échapper à l'extinction.

Henry Roy Janvier 2017

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